1. Qui es-tu Marie ?
C’est la prière catholique la plus récitée sans doute. Dans les grands sanctuaires, comme à Lourdes ou à Fatima, on l’entend dans toutes les langues. Elle est plus récitée probablement que le Notre Père. Par exemple, dans la prière du chapelet ou du Rosaire, il y a dix fois plus de « Je vous salue Marie » que de « Notre Père » !
De là à dire qu’on en fait trop pour Marie, il n’y a qu’un pas, et il est vite franchi. Ne risque-t-on pas en effet de faire passer Marie avant Dieu ? Ou encore de faire passer la dévotion mariale avant la lecture de la Bible ?
Non, voici pourquoi :
Une prière évangélique
Le « Notre Père », c’est la prière par excellence. La prière des enfants de Dieu. Celle dans laquelle la liturgie de l’Église trouve son sommet : à la messe, aux laudes et aux vêpres. Les Pères de l’Église disent que cette prière est la plus parfaite, parce qu’elle récapitule toutes les prières qu’on pourrait adresser à Dieu. Et puis, c’est la prière que Jésus lui-même nous a apprise. Elle est toute entière tirée de l’Évangile.
Et le « Je Vous Salue Marie », d’où vient-il ? Eh bien, il vient tout droit de l’Évangile ! On le lit dans le premier chapitre de l’Évangile selon saint Luc :
« L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » (Luc 1, 26-28)
Les premiers mots du « Je Vous Salue Marie » sont ceux que l’ange Gabriel a prononcés dans cette scène célèbre qu’on appelle l’Annonciation.
Quant aux mots suivants – nous le verrons la semaine prochaine – ce sont ceux que la cousine de Marie, Elisabeth, a prononcés dans la scène qui suit immédiatement la scène de l’Annonciation, c’est-à-dire la Visitation.
Bref, les deux premières phrases du « Je Vous Salue Marie », ce n’est rien d’autre qu’un pur morceau d’évangile. Quand on récite le « Je Vous Salue Marie », autrement dit, on ne fait pas autre chose que répéter la Parole de Dieu !
Salutation angélique, salutation évangélique
Les premiers mots sont ceux d’un ange. En grec, un ange, angelos, c’est un messager, quelqu’un qui est chargé d’annoncer quelque chose, d’apporter une nouvelle. C’est pourquoi on donne aussi à cette prière le nom de « salutation angélique ».
Cela vous rappelle peut-être au passage la prière de l’Angélus : dans beaucoup d’églises, le matin, le midi et le soir, les cloches sonnent pour nous inviter à réciter cette prière, composée elle-même de trois « Je Vous Salue Marie », qui nous rappelle ce qui s’est joué au moment de l’Annonciation, à savoir l’Incarnation :
« Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous » (Jean 1, 14).
Les premiers mots de la salutation angélique, donc, ne sont pas banals. Quand on les dit, on reprend les mots mêmes que Dieu a confiés à son messager, Gabriel, pour annoncer à Marie l’événement le plus important de toute l’histoire de l’humanité : l’Incarnation, c’est-à-dire la venue de Jésus dans notre chair.
Mais dans « ange » et angélus, vous reconnaissez aussi, j’en suis sûr, le mot « év-angile » : eu-angelos, en grec, c’est-à-dire « bonne nouvelle ». Eh oui ! L’ange Gabriel n’est pas qu’un messager parmi d’autres, et la nouvelle, la bonne nouvelle qu’il apporte à Marie, n’est pas une petite nouvelle : de tous les anges et les messagers de la Bible, Gabriel est celui qui a été chargé d’annoncer au monde la « bonne nouvelle » par excellence, la bonne nouvelle de notre salut :
« Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » (Luc 1, 31-33)
Dans l’évangile selon saint Matthieu, c’est Joseph qui entend un ange lui parler en songe. Le messager de Dieu lui explique le sens du nom qu’il faudra donner à l’enfant, conçu par l’Esprit Saint dans le sein de la Vierge Marie.
« Tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Matthieu 1, 21)
Bref, les tous premiers mots du « Je Vous Salue Marie » sont comme un condensé de tout l’Évangile : ils rappellent cet instant crucial où, à la voix de l’ange, notre histoire a basculé. Où par l’envoi de son Fils Jésus, Dieu nous a fait passer des ténèbres du péché à la lumière du salut. Désormais, plus rien ne sera comme avant, car, en Jésus, Dieu est avec nous pour nous sauver.
Donc non seulement ces mots sont tirés de l’Évangile, mais en plus, ils condensent tout l’Évangile. Ce qui veut dire aussi que Marie est la première évangélisée !
« Salut » ! La première des « sauvés »
Mais au fait ! Qui dit « salutation angélique », dit aussi salutation, et donc « salut » ! L’ange salue Marie. C’est un dialogue qui s’engage entre le ciel et la terre. Un dialogue entre une personne et une autre personne.
Là encore, c’est un peu comme si toute la Bible se contractait. Au fond, la Bible, c’est l’histoire de l’Alliance, et donc du dialogue, que Dieu noue avec les hommes. Et ce dialogue, il faut le commencer, il faut l’ouvrir. C’est ce qu’on fait quand on se dit « bonjour », quand on se salue.
En latin, il y a un jeu de mots savoureux que nous avons un peu perdu de vue : dire à quelqu’un « salut », comme dans la belle prière « salve Regina », « Salut, Reine, Mère de Miséricorde », c’est lui souhaiter d’être sauvé, d’être sain et sauf, et donc d’aller bien.
Mais aller bien au sens fort du terme, c’est-à-dire entrer dans cette plénitude de vie, de bonheur, de joie, pour laquelle Dieu nous a créés et que Jésus est venue nous apporter. En hébreu, le mot qu’on traduit par « salut », c’est Shalom. L’ange a dû utiliser un terme proche pour s’adresser à Marie dans sa langue maternelle, l’araméen. Or Shalom signifie « paix ». Mais pas la paix au sens de l’absence de conflit. Shalom désigne ce qui est plein, complet, entier, achevé, parfait. C’est donc la paix qui provient d’une plénitude de vie, cette plénitude que Dieu nous offre en nous invitant à vivre en communion avec lui et que le langage religieux appelle « le salut ».
Marie est la première à recevoir ce salut, la première à recevoir par la bouche de l’ange cette parole qui sauve. Elle est donc la première des sauvés ! Et chaque fois que nous redisons le « Je Vous Salue Marie », nous faisons rejaillir ce salut sur nous-mêmes, sur toutes les personnes pour lesquelles nous prions, et sur le monde entier.
« Réjouis-toi » : la joie du salut
Dans la langue du Nouveau Testament, le grec, pour dire « salut », « bonjour », on dit « Réjouis-toi », Chairé.
D’ailleurs, certaines personnes utilisent volontiers la formule « Réjouis-toi Marie », plutôt que le traditionnel « Je te salue » ou « Je vous salue Marie ». C’est aussi le langage qu’utilisent nos frères et sœurs orientaux, dans la magnifique prière litanique à Marie, qu’on appelle « L’hymne acathiste » : « Réjouis-toi, ô Mère du Sauveur… »
Là encore, ces mots sont un concentré de Bible. Ils irradient le salut et la bonne nouvelle prophétisés depuis si longtemps dans l’Ancien Testament.
Le prophète Sophonie, environ sept siècles avant Jésus-Christ, invitait déjà « la fille de Sion », c’est-à-dire Jérusalem, à se réjouir de la venue de Dieu son Sauveur :
« Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem ! Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui, le héros qui apporte le salut. » (Sophonie 3, 14-17)
Un peu plus tard, autour du VIe siècle, le prophète Zacharie annonce à son tour la joie immense que causera bientôt la venue du Sauveur :
« Chante et réjouis-toi, fille de Sion ; voici que je viens, j’habiterai au milieu de toi – oracle du Seigneur. » (Zacharie 2, 14)
On trouverait ailleurs dans la Bible d’autres éclats de cette joie messianique (Isaïe 12, 6 ; Joël 2, 21-27 ; Zacharie 9, 9…). Mais ces échos suffisent à comprendre que le « Réjouis-toi » que l’ange adresse à Marie est la réalisation de la promesse faite autrefois par les prophètes d’Israël. La fille de Sion, où Dieu lui-même viendra faire sa demeure, c’est Jérusalem ; mais plus encore, c’est Marie, qui accueille dans sa chair le Fils de Dieu venu habiter parmi nous comme un frère et un ami.
Voilà pourquoi le « Je Vous Salue Marie » est comme un bouquet de joie, et voilà pourquoi c’est aussi la prière idéale du temps de l’Avent, où l’Église veille dans l’attente de la venue de son Seigneur qui nous apportera la joie du salut.
frère Sylvain Detoc
Frère Sylvain Detoc est docteur ès lettres et docteur en théologie. Il est frère de la province de Toulouse, il enseigne à l'Institut Catholique de Toulouse. Il a publié plusieurs ouvrages : Déjà brillent les lumières de la fête (Cerf, 2023), La Gloire des bons à rien (Cerf, 2022) et Petite théologie du Rosaire (éditions de La Licorne, 2020).
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