3. Ensemble, en communion avec Dieu
Le fondement essentiel de notre repas eucharistique dans le Nouveau Testament se trouve dans le dernier repas que Jésus a célébré avec ses disciples, le jeudi saint au soir : le repas qui pour les Juifs célèbre la Pâque. Mais aussi dans les repas que Jésus a pris avec ses disciples après sa résurrection, en particulier le repas avec les deux disciples à Emmaüs (chez Luc), ou le repas au bord du lac après la pêche miraculeuse (chez Jean).
Un passage
Ce repas est avant tout, dans le Nouveau Testament, un repas pascal que Jésus inscrit délibérément dans la mémoire de la Pâque juive, passage à travers la mer qui fait passer le peuple de l'esclavage d’Égypte à la liberté. Repas pascal qui désormais célèbre cette nouvelle Pâque, passage de la mort à la Vie, pour le Christ, premier-né d'entre les morts, et nous à sa suite.
Un repas, parce que nous y sommes nourris, puisque la nourriture nous est indispensable pour vivre. Signe que Dieu nous nourrit quotidiennement – pas seulement notre corps, et pas seulement moi. Pas seulement le corps : la nourriture dont nous avons le plus besoin, c'est la nourriture du cœur, celle qui, à la ressemblance de Dieu, nourrit notre présence réelle et forte les uns aux autres. Et donc pas seulement moi : c'est un repas partagé, où le Christ, rompant le pain, le partage entre tous ceux et celles qui sont là.
Partager la Parole et partager le pain
Ce geste du partage est fondamental pour le Nouveau Testament : combien souvent nous y voyons le Christ à table avec les uns et les autres. Mais il est très significatif qu'aussi après sa résurrection, le Christ ait mangé et bu plusieurs fois avec ses disciples (Actes, 10, 41). Ainsi avec Cléophas et son compagnon qui, le dimanche de Pâques au soir, rentrent à Emmaüs désespérés de la mort de Jésus. Tout ce passage de Luc, au chapitre 24, est construit sur le modèle du repas du Seigneur : d'abord un long temps de partage de la Parole de Dieu, puis, à la maison, le Christ qui s’assoit à table, prend le pain, dit la bénédiction, rompt le pain et le leur partage : et là leurs yeux s'ouvrent et ils le reconnaissent.
Un fondement des premières communautés chrétiennes
Dès les premiers temps de la communauté chrétienne, ce repas partagé devient le fondement de la communauté. Comme nous le dit le livre des Actes dès le début, « la communauté était assidue à la fraction du pain ». Et la coutume va rapidement s'établir que, chaque semaine, à la veille du premier jour de la semaine (le samedi soir donc), les communautés chrétiennes se rassemblent dans la maison de l'un de leurs membres pour ce « repas du Seigneur ».
Comme par exemple au chapitre 20 des Actes, nous voyons la communauté de la ville de Troas réunie chez un de ses membres, dans la salle haute. Ils étaient là « pour rompre le pain ». Et Paul, qui était là de passage, va parler longuement : c'est notre liturgie de la parole. Ensuite c'est lui qui va rompre le pain et tous vont manger.
Forger l’unité de la communauté
Nous retrouvons tous ces éléments dans la 1ère lettre de Paul aux Corinthiens, où il souligne, au chapitre 10 :
« la coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n'est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu'il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps ; car tous nous participons à cet unique pain ».
Il est très dommage que ce signe du pain unique partagé entre tous ait disparu de nos célébrations au profit d'une multitude de petites hosties, chacun la sienne : cela nous fait perdre le sens de l'unité du corps que nous formons. Et au chapitre suivant de cette lettre, Paul met en cause les divisions qui surgissent au sein de cette communauté des Corinthiens en écrivant :
« Lorsque vous vous réunissez tous ensemble, ce n’est plus le repas du Seigneur que vous prenez ; en effet, chacun se précipite pour prendre son propre repas, et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu ». Et alors Paul, souligne : « chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. »
Avec cette conséquence fondamentale : manger ce pain et boire cette coupe doit construire entre nous une communauté fraternelle.
Le partage du pain construit la solidarité
C'est déjà ce qui s'était produit lors de la multiplication des pains qui, dans les 4 Évangiles, fait clairement allusion au repas du Seigneur : après un long temps de parole où il enseigne les foules, Jésus invite à partager le pain. Et alors que les apôtres lui proposent de renvoyer les gens pour qu'ils aillent chacun de son côté s'acheter de quoi manger, Jésus, tout au contraire, leur dit : « donnez-leur vous-mêmes à manger ». Non plus « acheter » mais « donner ». Il les fait asseoir, non pas chacun de son côté, mais par groupes. Et prenant les quelques pains et poissons dont les apôtres disposent, le Christ, lève les yeux au ciel, dit la bénédiction en rendant grâces, puis il rompt les pains et les donne aux disciples, et les disciples à la foule.
Le pain de la vie
C'est après cette multiplication des pains que l’Évangile de saint Jean en développe toute la signification : la mission du Christ est de nous donner le pain de vie. Il est lui-même ce pain de vie :
« mon corps est vraie nourriture et mon sang vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Ainsi celui qui me mangera vivra par moi »
la vie qui est celle même de Dieu et à laquelle il est venu nous faire communier, chacun et tous ensemble.
Voilà donc le repas du Seigneur dans le Nouveau Testament : partage de la parole, mémoire de la Pâque du Christ, bénédiction et action de grâces, un seul pain rompu entre tous, une seule coupe de vin partagée – pour devenir tous ensemble le Corps du Christ. Pour vivre, nous, ensemble, pour l'éternité.
frère Gabriel Nissim
Frère Gabriel Nissim est dominicain au couvent Saint-Jacques, à Paris. Il a publié plusieurs ouvrages, en catéchèse (Vers l'Eucharistie, initiation des enfants à la messe, Fayard-Mame, 1968), en histoire contemporaine (Les Juifs et le communisme après la Shoah, Éditions de Paris, 2005), un recueil d'homélies : Un ami vient à vous (Arfuyen, 2009). Il a été producteur de l'émission Le Jour du Seigneur. Frère Gabriel est diplôme de l’Institut Supérieur de Pastorale catéchétique (ICP) et d’un doctorat sur les langues africaines (EHESS). Il a vécu durant sept ans au Cameroun, où il se consacre à la catéchèse des adolescents, à des émissions de radio et à l’enseignement d’une langue africaine à l’Université de Yaoundé.
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